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2000 03 22 * Le Monde Diplomatique * Echelon dévoilé - Pourquoi l'Amérique espionne ses alliés * James Woolsey

http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/echelon/WOOLSEY/m2.html
Texte original publié par The Wall Street Journal Europe, Bruxelles, 22 mars 2000.
Traduit de l'américain par Philippe Rivière.

  

Parce que ces derniers pratiquent la corruption. La question devrait être Pourquoi pratiquent-ils la corruption? Adam Smith détient la réponse.


Par R. JAMES WOOLSEY, Avocat à Washington et ancien directeur de la CIA.

A quoi correspond donc cette gifle au sujet d'Echelon et des Etats-Unis espionnant les industries européennes? Nous commencerons par un peu de franchise du côté américain. Oui, chers amis du continent européen, nous vous avons espionnés. Et il est vrai que nous utilisons des ordinateurs pour trier les données grâce à des mots clés. Vous êtes-vous posé la question de savoir ce que nous cherchons?

Le récent rapport au Parlement européen sur Echelon, écrit par le journaliste britannique Duncan Campbell, a déclenché de furieuses accusations, en provenance de l'Europe continentale, stipulant que les services de renseignement des Etats-Unis volent les technologies avancées des compagnies européennes pour que nous puissions - notez-le - les donner aux compagnies américaines pour les aider à rivaliser. Mes amis européens, revenez sur terre. C'est vrai, dans une poignée de domaines la technologie européenne surpasse l'américaine, mais, pour le dire aussi aimablement que possible, ces domaines sont en très, très, très petit nombre. La plupart des technologies européennes ne méritent même pas que nous les volions.

Pourquoi, donc, vous avons-nous espionnés? La réponse est largement apparente dans le rapport Campbell - dans la discussion des deux seuls cas dans lesquels on dit que des compagnies européennes auraient été les cibles de la collecte américaine de renseignements. A propos de Thomson-CSF, le rapport indique"On a dit que la compagnie a corrompu des membres du comité de sélection du gouvernement brésilien." D'Airbus, il dit que nous avons pu établir que "les agents d'Airbus offraient des pots-de-vin à un officiel saoudien." Ces faits sont inévitablement omis dans les articles de presse européens.

Plus coûteux, moins avancés

Eh oui, chers amis continentaux, nous vous avons espionnés parce que vous distribuez des pots-de-vin. Les produits de vos compagnies sont souvent plus coûteux, moins avancés sur le plan technologique, ou les deux à la fois, que ceux de vos concurrents américains. En conséquence de quoi vous corrompez beaucoup. Vos gouvernements sont tellement complices que dans plusieurs pays européens les pots-de-vin sont encore déductibles des impôts.

Lorsque nous vous avons pris à ce jeu, voulez-vous savoir, nous n'avons pas dit un mot aux compagnies américaines concurrentes. Nous sommes allés, au contraire, voir les gouvernements que vous soudoyez pour prévenir les officiels que nous ne prenions pas cette corruption à la légère. Ils réagissent souvent en accordant à l'offre la plus méritoire (parfois américaine, parfois non) tout ou partie du contrat. Ceci vous choque, et crée parfois des récriminations entre vos corrupteurs et les corrompus des autres pays, et devient à l'occasion un scandale public. Nous adorons cela.

Pourquoi pratiquez-vous la corruption? Ce n'est pas parce que vos compagnies sont fondamentalement plus corrompues. Ni parce que vous seriez de manière intrinsèque moins doués en technologie. C'est parce que votre saint-patron économique est Jean-Baptiste Colbert, quand le nôtre est Adam Smith. En dépit de quelques récentes réformes, vos gouvernements dominent encore largement vos économies, ce qui fait que vous éprouvez une difficulté beaucoup plus grande que nous à innover, à encourager la mobilité du travail, à réduire les coûts, à attirer le capital vers les jeunes secteurs industriels qui bougent si vite et à vous adapter rapidement aux changements des circonstances économiques. Vous préféreriez ne pas avoir à subir le tracas d'actions vous éloignant du dirigisme. Il est tellement plus facile de continuer à verser des pots-de-vin.

La Central Intelligence Agency collecte aussi d'autres [types de] renseignements économiques, mais dans leur vaste majorité ce ne sont pas des secrets volés. La Commission Aspin-Brown il y a quatre ans a établi qu'environ 95 % des renseignements économiques des Etats-Unis provenaient de sources ouvertes.

Le rapport Campbell décrit une sinistre rencontre à Washington où - j'en frémis ! - du personnel de la CIA est présent et où les participants - tenez-vous bien - "identifient les contrats majeurs ouverts à proposition" en Indonésie.

M. Campbell, je suppose, imagine quelque chose comme ceci : Un espion malin sort à pas feutrés d'une maison sûre, change de tenue, vérifie qu'il n'est pas sous surveillance, se coordonne avec un satellite espion et... achète un journal indonésien. Si vous autres Européens croyez réellement que nous allons jusqu'à l'absurde pour obtenir des informations disponibles de manière publique, pourquoi ne vous moquez-vous pas juste de nous au lieu de vous montrer offensés?

Technologie à usage dual

Quels sont les secrets économiques, au-delà des tentatives de corruption, que nous avons voulu obtenir par l'espionnage? Un exemple en est les tentatives de certaines compagnies de masquer le transfert de technologies à usage dual. Nous suivons de près les ventes de superordinateurs et de certains produits chimiques, car ils peuvent être utilisés non seulement pour des objectifs commerciaux mais aussi pour produire des armes de destruction massive. Un autre en est les activités économiques dans les pays soumis à des sanctions - l'activité bancaire serbe, le trafic de pétrole irakien.

Mais collectons-nous, ou même trions-nous des renseignements secrets au bénéfice de compagnies américaines spécifiques? Même M. Campbell admet que nous ne le faisons pas, bien qu'il ne réussisse à le formuler qu'à l'aide d'une double négation : "En général ce n'est pas incorrect." La Commission Aspin-Brown était plus explicite : "Les agences de renseignement américaines n'ont pas pour mission de s'engager dans "l'espionnage industriel" - c'est-à-dire d'obtenir des secrets industriels et commerciaux pour le compte d'une ou de plusieurs compagnies des Etats-Unis."

Le gouvernement français est en train de former une commission pour enquêter sur tout ceci. J'espère que les commissaires viendront à Washington. Nous devrons organiser deux séminaires à leur intention. L'un couvrirait notre Foreign Corrupt Practice Act [décret sur les pratiques de corruption à l'étranger], et comment nous l'utilisons, assez efficacement, pour décourager les compagnies des Etats-Unis de corrompre des gouvernements étrangers. Le second aborderait pourquoi Adam Smith est un meilleur guide que Colbert pour les économies du XXIe siècle. Puis nous pourrions parler d'espionnage industriel, et nos visiteurs pourraient nous expliquer, s'ils réussissent à garder leur sérieux, qu'ils ne le pratiquent pas. La prochaine commission s'intéressera-t-elle au sujet du manque de politesse des maîtres d'hôtel américains?

Européens, soyez sérieux. Cessez de nous critiquer et réformez vos propres politiques économiques étatiques. Vos compagnies deviendront plus efficaces et innovantes, elles n'auront plus alors besoin de la corruption pour faire face à la concurrence.

Et nous n'aurons plus besoin de vous espionner.