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2000 04 18 * Le Monde Diplomatique * Le renseignement américain en accusation - Petits débats sur Echelon * Philippe Rivière

http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/echelon/

Petits débats sur Echelon

S'exprimant à Bruxelles alors que son gouvernement préside l'Union européenne, le ministre portugais de l'intérieur, M. Fernando Gomes, affirme qu'il n'a « pas de doute sur l'existence d'un système d'interception des télécommunications ». Difficile en effet de continuer à se voiler la face quand l'ex-directeur de la CIA James Woolsey lui-même confirme l'« honnêteté intellectuelle » du rapport sur le système Echelon présenté au Parlement européen par le journaliste britannique Duncan Campbell.

Echelon est le produit du pacte Ukusa, signé au tout début de la guerre froide par les Etats-Unis et le Royaume-Uni - qui furent rapidement rejoints par le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'écoute et l'analyse routinières des conversations téléphoniques, fax et courriers électroniques permettent de rapporter vers la National Security Agency (NSA) américaine quantité d'informations, secrètes ou non, concernant l'ensemble des domaines d'intérêt stratégique : données économiques, stratégies des décideurs, milieux concernés par tel ou tel enjeu, etc.

Au fil des découvertes se dessine une formidable machine de contrôle, secrète et d'une envergure fascinante (1). Au Parlement européen se posait une question centrale : les échanges de données pratiqués par les services de renseignements d'un pays membre de l'Union (les services britanniques principalement) peuvent-ils conduire à l'espionnage des citoyens et des entreprises européennes pour le compte de services américains ? A Washington, le Congrès s'interroge sur la surveillance par la NSA de citoyens américains - une pratique qui serait contraire à la Constitution. Qui espionne qui et au nom de quoi ?

Mais la nature d'Echelon soulève aussi d'autres questions. Ce réseau est construit sur les « échanges » d'informations entre services de renseignements de différents pays. Echanges inégaux, bien sûr, les services alliés étant largement dépendants de la NSA (qui décide ce qu'elle prend dans les données collectées chez ses partenaires et choisit ce qu'elle leur répercute). Echanges systématiques, surtout, qui de plus peuvent se dérouler à l'insu des gouvernements concernés - comme a pu en témoigner l'ancien premier ministre néo-zélandais David Lange (2).

Si bien souvent les militaires motivent leur coopération internationale par la « lutte contre le terrorisme », faut-il leur faire grâce d'une définition de ce terme ? Considérer, par exemple, que la collaboration du Bundesnachrichtendiest (BND) allemand avec le Service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB) russe pour l'échange d'informations concernant les « terroristes tchétchènes » relève d'un très normal échange de bons procédés(3) ? Accepter sans débat le fait que la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française entretienne des contacts étroits avec la NSA depuis... les années 70, portant notamment sur des échanges de technologie(4) ?

Les récentes révélations sur les agissements des services européens sont à rapprocher de l'arrogance avec laquelle l'ancien directeur de la CIA pointe, comme justification d'Echelon, la corruption pratiquée par les entreprises européennes pour conquérir les marchés extérieurs. L'Europe, qui pourrait à bon droit considérer Echelon comme une agression d'une gravité exceptionnelle, hésite à poursuivre ses investigations. Car elle pourrait alors se trouver confrontée à des questions identiques à celles qu'elle souhaite poser à la NSA. Conjuguées aux pressions britanniques, ces craintes ont eu raison du projet de création d'une commission d'enquête, repoussée le 13 avril 2000 par la conférence des présidents du Parlement européen.

(1) Si fascinante que de nombreux mythes circulent à son sujet, et notamment, sur Internet, une « liste des mots-clés interceptés par Echelon ».

(2) Dans sa préface au livre de Nicky Hager, Secret Power, New Zealand's Role in The International Spy Network, Craig Potton Publishing, Nelson, Nouvelle-Zélande, 1996.

(3) Collaboration revendiquée par la partie russe et (faiblement) démentie par le porte-parole du BND (Libération, 14 avril 2000). Rappelons que le dirigeant tchétchène Djokhar Doudaev fut abattu, en avril 1996, par une roquette probablement pointée sur... son téléphone satellitaire.

(4) « Le secret embarras des Français au sujet d'Echelon », Le Monde du renseignement, 16 mars 2000.