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2000 05 * L'Ornitho * Contre la corruption étatique, l'espionnage libéral * Philippe Rivière

http://www.ornitho.org/numero23/invite/index.html

Par PHILIPPE RIVIÈRE, journaliste au Monde Diplomatique

«Pourquoi l'Amérique espionne ses alliés(1).» Sous ce titre, l'ancien directeur de la CIA, M. James Woolsey, endosse quasi officiellement, dans le Wall Street Journal, l'existence du système Echelon(2). Il affirme en particulier l'« honnêteté intellectuelle » du rapport remis au Parlement européen par le journaliste Duncan Campbell. Ce dernier, après de longues années d'enquête, avait mis au jour le réseau de surveillance globale des télécommunications - téléphone, fax, courrier électronique maintenu par la National Security Agency (NSA) américaine et ses homologues britannique, australienne, néo-zélandaise et canadienne (le réseau implique également, à des degrés divers, d'autres pays dont la France et l'Allemagne).

Pourquoi, donc, les Etats-Unis espionnent-ils leurs alliés ? S'agit-il d'un espionnage économique, au profit du complexe militaro-industriel ? La réponse de M. Woolsey se veut cinglante : « La plupart des technologies européennes ne méritent même pas que nous les volions. »

Quelques jours plus tôt, à Washington, ce même James Woolsey évoquait toutefois, devant la presse étrangère, un cas d'école : est-ce qu'un membre des services de renseignements « pourrait établir une analyse technologique sur quelque chose en provenance d'un pays ami, sans importance autre qu'un usage commercial, pour la laisser posée sur l'étagère faute de pouvoir le donner à une compagnie américaine ? Je ne le crois pas. Je crois que ce serait une mauvaise utilisation des ressources de la communauté [du renseignement](3). »

Mais dans la lettre ouverte à ses amis européens confiée au Wall Street Journal la réalité est plus simple : « Eh oui, chers amis continentaux, nous vous avons espionnés parce que vous pratiquez la corruption. Voilà un fait toujours omis dans les articles de presse européens. Les produits de vos compagnies sont souvent plus coûteux, moins avancés sur le plan technologique, ou les deux à la fois, que ceux de vos concurrents américains. En conséquence de quoi vous corrompez beaucoup. Vos gouvernements sont tellement complices que dans plusieurs pays européens les pots-de-vin sont encore déductibles des impôts. Lorsque nous vous avons pris à ce jeu, voulez-vous savoir, nous n'avons pas dit un mot aux compagnies américaines concurrentes. Nous sommes allés, au contraire, voir les gouvernements que vous soudoyez pour prévenir les officiels que nous ne prenions pas cette corruption à la légère. »

M. Woolsey cite ainsi, à l'appui de sa démonstration, l'affaire Sivam. La firme française Thomson-CSF avait perdu, à la dernière minute et suite à des accusations de corruption mise en évidence par Echelon, le marché de la surveillance aérienne de l'Amazonie. Le contrat de 1,4 milliards de dollars, aux juteuses commissions, s'envola au profit de Raytheon, un important contractant du département de la défense américain, et l'un des principaux fabricants du système Echelon. Rappelant l'affaire, M. Woolsey oublie toutefois de rappeler que, en novembre 1995, quelque temps après cet épisode, la presse brésilienne publiait des transcriptions d'écoutes téléphoniques, probablement réalisées par la NSA, mettant en cause les tentatives de corruption d'un officiel brésilien par... Raytheon(4).

Aujourd'hui avocat à Washington, l'ex-patron de la CIA s'en tient à sa ligne de défense : il aimerait que les Européens aillent plutôt au fond des choses : « Pourquoi pratiquez-vous la corruption ? C'est parce que votre saint patron économique est Jean-Baptiste Colbert, quand le nôtre est Adam Smith. Soyez sérieux, cessez de nous critiquer et réformez vos propres politiques économiques étatiques. Vos compagnies deviendront plus efficaces et innovantes, elles n'auront plus alors besoin de la corruption pour faire face à la concurrence. Et nous n'aurons plus besoin de vous espionner. »

 

(1) The Wall Street Journal Europe, New York, 22 mars 2000. Voir la traduction intégrale, ainsi que des liens vers les différents rapports, sur http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/echelon/

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2) « Le système Echelon », Manière de voir, n° 46, juillet-août 1999.

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3) Cité par Duncan Campbell, « I Spy an Ally », The Guardian, Londres, 15 mars 2000.

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4) Lire, par exemple, The Washington Post et Frankfurter Rundschau, 5 décembre 1995. Cf. Transparency International.