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2003 * Certitudes * L'Europe française sera laïque aussi ! * Abbé G. de Tanoüarn

http://certitudes.free.fr/nrc14/nrc14026.htm

Rendons à Giscard ce qui est à César... et à Dieu ce qui est à Dieu ! Notre VGE national, au mépris de ses propres traditions familiales, veille, tel un cerbère, sur les destinées laïques de l'Europe unie. La France qui n'a que la construction européenne à la bouche, n'est pas prête à faire la moindre concession pour amadouer ses voisins. Son laïcisme n'est pas négociable... Résultat : la constitution de l'Europe est remise sine die, puisqu'il n'est pas question qu'elle comporte la moindre Invocatio Dei, dans son préambule.

Laïcité, voilà un mot qu'on emploie sans jamais le définir et de manière équivoque. Les polémiques sur l'article 2 du projet de Constitution européenne, à l'occasion du Sommet de Salonique le 20 juin 2003, nous offrent un large panel de textes, tous revendiquant la laïcité, mais chacun visant, à travers ce vocable, un projet politique et culturel différent. La question, on s'en souvient, était de savoir si l'on invoquerait le nom de Dieu au début de la Constitution européenne et si l'on ferait référence au christianisme comme héritage fondateur de l'Europe.

Deux tentatives de définition

Un Italien, inscrit dans le groupe d'Emma Bonino, Maurizio Turco, prend immédiatement l'initiative de faire signer une déclaration de laïcité, ainsi rédigée : « Les principes de laïcité de l'État, d'égalité et de non-discrimination entre les citoyens et par conséquent entre les différentes religions et Églises sont à la base de la démocratie et de l'État de droit ». Il obtient le soutien de 252 parlementaires des quinze États membres et de 243 députés européens. Égalité entre les différentes religions : telle est la définition de la laïcité que met en avant cet Italien. Toute entrave à ce principe, tout effort pour considérer par exemple que le christianisme est plus européen que l'islam est d'avance déclaré irrecevable. Dans cette optique, la laïcité est le système qui permet de relativiser toutes les croyances religieuses, en accordant a priori autant d'importance aux chrétiens qu'aux adorateurs de l'oignon, au nom de la non-discrimination entre les religions. Bien évidemment de telles conceptions aboutissent à marginaliser toute forme de foi religieuse...

Par ailleurs et dans un tout autre registre, à partir du mois de mai dernier, les chrétiens font circuler un Appel à la reconnaissance de l'âme de l'Europe, qui apparaît comme vulgarisant les thèses du pape Jean Paul II sur la nature essentiellement chrétienne de l'Europe : « Ne construisons pas une Tour de Babel avec le mortier du Mur de Berlin » exhortent les auteurs avec force. Et ils enchaînent : « L'Europe existe ; elle a une histoire, des valeurs, une âme. Il est primordial d'appeler à la reconnaissance de l'âme de l'Europe. Depuis plusieurs mois, ou sein des institutions européennes, nous assistons à une intensification des attaques antireligieuses, diffusant une image caricaturale de la spiritualité et une conception militante et exclusive de la laïcité. Ces attaques visent à disqualifier notre héritage religieux pour mieux fonder la Constitution européenne sur une conception matérialiste, relativiste et athée de la société. Face à ces attaques, Jean Paul ÏÏ rappelait le 16 décembre 2002 : "On ne peut pas oublier que c'est la négation de Dieu et de ses commandements qui ont créé au siècle passé la tyrannie des idoles exprimée dans la glorification d'une race, d'une classe, d'un parti, de l'État ou de la nation" ». Cette citation est un peu longue, mais elle est très significative de la conception wojtylienne de la laïcité, telle que le pape la développe depuis des années. On peut la résumer en trois points : il existe un patrimoine chrétien de l'Europe, qui forme comme "l’âme" de ce Continent. Contre cet héritage, les attaques se multiplient. Mais sans cet héritage, l'Occident tout entier est mûr pour un nouveau totalitarisme. Il faut noter que ce diagnostic sévère sur les risques d'un nouveau totalitarisme, issu du relativisme généralisé, remonte à 1991 et revient de façon récurrente et courageuse dans les écrits du pape. Quelle autre autorité morale ose porter un jugement si radical sur notre société consumériste ? La toute récente exhortation apostolique Ecclesia in Europa (29 juin 2003) réutilise ce terme pour désigner le matérialisme obligatoire qui domine partout en Occident.

Critique de la thèse de Jean Paul II

On peut néanmoins faire deux reproches à cette conception nouvelle de la laïcité européenne.

D'abord le pape sous estime l'adversaire qui avait été si vertement désigné par les grands papes du XIXème siècle, la philosophie des Lumières, il n'en parle pas, ou lorsqu'il en parle, c'est pour avancer l'idée saugrenue que l'idéologie des droits de l'homme a des origines chrétiennes et qu'il est par conséquent très possible d'envisager une sorte de fusion entre l'idéal chrétien et l'idéal humaniste. Maurizio Turco, que nous citions tout à l'heure, crierait certainement à la récupération et au baptême forcé. Nous avons essayé de montrer quant à nous, dans le numéro 10 de la Nouvelle revue Certitudes, que ces deux traditions étaient formellement incompatibles, nous n'y revenons pas. Les événements se chargent et se chargeront de le rappeler à ceux qui croyaient qu'il suffisait de mettre en cause l'exception anticléricale française. Non ! Il s'agit bien d'un mouvement européen, qui, en tant qu'il se veut démocrate, s'affirme en même temps viscéralement antichrétien... Ces "intégristes laïcs" n'ont de cesse que de réduire le christianisme à n'être qu'une secte comme tant d'autres !

Deuxième reproche : dans cette perspective habile, on se contente de poser un jugement de fait, en renvoyant à l'histoire et on parle d'un héritage chrétien. Mais comme le notent certains observateurs non-chrétiens, les religions ne sont pas seulement des héritages venus du passé, elles ne sont pas mortes, mais bien vivantes ! Parler d'héritage et d'histoire, c'est se condamner à considérer les religions uniquement comme des cultures, et non comme des pratiques vivantes. Voilà qui justifierait par exemple ces cours d'histoire des religions que Régis Debray envisage de diffuser par le biais d'enseignants qui seraient les salariés de l'Education nationale et qui manipuleraient les petits élèves incapables de défendre leurs âmes, en leur présentant « l'héritage religieux » comme une bulle de formol, où l'on ne trouve plus que de grandes idées mortes !

La position des évêques européens

Un observateur attentif a pu constater une dissonance entre la perspective wojtylienne, qui ne parle que d'héritage mais qui évoque au moins "les valeurs chrétiennes" et puis la position des évêques européens, très en retrait par rapport au pape.

Dans une déclaration de la Conférence des évêques européens, le 27 septembre 2002, on ne trouve aucune remarque proprement chrétienne. Les évêques se contentent de réclamer « le respect de la liberté religieuse sous toutes ses formes », « la reconnaissance de l'identité spécifique des églises et des communautés religieuses et un dialogue structuré avec elles » et enfin « le respect du statut dont bénéficient en vertu du droit national les églises, les communautés religieuses et les organisations non confessionnelles ».

Si vous lisez un peu vite, vous ne verrez là peut-être qu'une manière de se retrancher dans une épaisse langue de bois (ou une langue de buis en l'occurrence). Mais il n'en est rien ! Ces évêques ont un objectif clair : ce n'est plus le Christ, c'est leur pomme ! Ce qu'ils demandent à l'Union Européenne, c'est qu'elle leur fasse une petite place, en leur proposant des petits dialogues structurés, qui ne servent à rien qu'à justifier leur existence et surtout, surtout ! que l'on préserve leur statut ! Qu'on organise le marché des religions en protégeant les formes religieuses existantes contre l'éventuelle intrusion de nouvelles forces... C'est pitoyable ! C'est la politique des fonctionnaires de Dieu. Ils ont tout des fonctionnaires ces évêques, la docilité, le manque d'imagination, le conformisme intellectuel. Tout sauf un salaire.

Ces évêques ne voient aucune objection à la position actuelle de Valéry Giscard d'Estaing, le président en fonction de la Convention européenne, qui ne veut mettre de fait dans l'article 2 de la Constitution européenne qu'une très vague référence à « l'héritage culturel, religieux et humaniste » de l'Europe. VGE s'est donné le ridicule d'évoquer deux grandes sources de la culture" européenne : la Grèce antique et le siècle des Lumières. Entre les deux : rien. Mais cela ne gêne pas nos évêques une seconde, du moment qu'on reconnaît leur statut (leurs avantages acquis comme parle la CGT) et du moment qu'on leur organise des petits dialogues avec des officiels de la Structure européenne, qui leur donne l'illusion d'exister quelques instants...

Combien préférable est le courage fort en gueule de l'archevêque orthodoxe de Thessalonique, Mgr Christodoulos, qui, lui, condamne la position de Giscard d'Estaing sans prendre de gants : « Il s'agit d'une distorsion de l'histoire. Personne n'a le droit d'effacer le christianisme. L'Europe échouera et sera divisée si elle continue dans cette voie ». En ligne de mire, bien sûr, pour ce Grec : la candidature de la Turquie musulmane à l'Union européenne.

Que faut-il penser de la laïcité à l'occidentale?

Reste à proposer, au nom de la Tradition catholique, à travers la richesse prophétique de l'enseignement des papes du XIXème et du XXème siècle, une position claire : en tant que catholiques vivants (et non en tant qu'héritiers d'un catholicisme putativement moribond), qu'apportons-nous dans ce débat ? Quelle est notre conception de la laïcité ?

Pie XII, en 1957, faisait de la saine laïcité un principe chrétien essentiel : « Il y a des gens en Italie, déclarait le Pasteur angélique, qui s'agitent toujours parce qu'ils craignent que le christianisme enlève à César ce qui est à César. Comme si donner à César ce qui lui appartient n'était pas un commandement de Jésus, comme si la laïcité serine et légitime n'était pas un principe de la doctrine catholique, comme si ce n'était pas une tradition de l'Église de s'efforcer à maintenir distincts mais aussi toujours unis selon de justes principes les deux pouvoirs ».

La définition de la laïcité est claire : il s'agit de considérer comme distincts deux pouvoirs, le pouvoir temporel qui revient à l'État et le pouvoir spirituel qui revient à l'Église, il s'agit donc pour l'État de reconnaître à l'Église une autorité native pour tout ce qui touche aux choses de Dieu.

Ce terme d'autorité fait peur aujourd'hui. La conception dominante de la laïcité, celle qu'incarnait tout à l'heure Maurizio Turco, consiste à dénier à l'Église toute prétention à une quelconque autorité spirituelle, en équiparant son message et celui de n'importe quelle secte au nom de la non-discrimination et de l'égalité des religions. Et de même les chrétiens sont invités à considérer leur foi non comme décisive ou déterminante, mais comme pouvant revêtir l'apparence d'une simple opinion. C'est en tout cas ce que rappelle Raphaël Drai dans le dossier que La Croix avait consacré à notre sujet : « La laïcité exige que l'on soit capable de rétrograder de l'affirmation d'une foi à l'expression d'une opinion, sans se sentir dans l'infidélité, l'hérésie ou l'abandon ».

L'idéologie laïque - que l'on confond sottement avec la laïcité elle-même - consiste à enseigner officiellement une culture du mépris vis-à-vis de toutes les religions, qui sont toutes invitées à considérer leur enseignement comme une pure opinion ou encore (au mieux) comme un élément dans une culture collective. .. Voilà en tout cas qui ne pèse pas très lourd face à l'universelle foi démocratique.

Devant cette hostilité déclarée de l'idéologie dominante, la réponse catholique est celle de Pie XII tout à l'heure ou celle de Jésus à Pilote : « Mon Royaume n'est pas de ce monde ». Jamais l'Église n'a prétendu rivaliser avec le Pouvoir temporel, même lorsqu'il émet des prétentions totalitaires. La vérité chrétienne est d'un autre ordre. Elle n'appartient pas à cette création. Son autorité n'est pas de ce monde, même lorsqu'elle s'exerce sur ce monde. L'intégriste catholique est celui qui a oublié cette vérité première, qui est aussi un commandement de Jésus lui-même, comme nous le rappelait Pie XII : Rendez à César ce qui est à César... et à Dieu ce qui est à Dieu.