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1999 03 * Le Monde Diplomatique * TENTATIONS POLICIERES DANS LE CYBERESPACE
- «Grandes oreilles» américaines * Philippe Rivière

http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/RIVIERE/11770.html

HIER si discrète, la National Security Agency (NSA) remplit maintenant les salles de cinéma. Le succès planétaire d' Ennemi d'Etat, le film réalisé par Tony Scott, dévoile soudainement à un large public les incroyables capacités de surveillance et d'espionnage dont dispose ce service de renseignement américain : antennes, capteurs, satellites... qui permettent de suivre le trajet d'un véhicule, où qu'il se trouve à la surface de la Terre, depuis Fort Meade, le quartier général de l'agence.

Là, quelque vingt mille employés, « analystes, ingénieurs, physiciens, mathématiciens, linguistes, informaticiens, chercheurs, spécialistes des relations avec la clientèle, officiers de sécurité, experts en flux de données, gérants, assistants administratifs et employés, pour n'en citer que quelques-uns », sont chargés de dépouiller les conversations téléphoniques, dans le but « d'informer les responsables et d'assurer la sécurité du pays (1) ».

Etablie en 1952 par une directive secrète du président Harry Truman, la NSA est chargée du contre-espionnage, de la protection des communications gouvernementales et militaires, mais également d'espionnage : elle est allée jusqu'à infiltrer la Commission spéciale des Nations unies en Irak (2). Elle se consacre aussi à la recherche et au développement tous azimuts. L'organigramme de l'agence (3) montre que ses services couvrent tout le champ des technologies de l'information militaire et civile : cryptologie (des algorithmes mathématiques aux super- ordinateurs), interception des signaux électromagnétiques, sécurité des réseaux informatiques, satellites d'observation... jusqu'à une énigmatique division « combat, nucléaire et espace ».

L'agence est la figure de proue d'un pacte de collecte d'informations entre les Etats-Unis et les services de renseignements du Royaume-Uni, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Ce pacte, dénommé « Ukusa », date de 1947. Ses attributs sont montés en puissance à partir des années 70 et 80 , quand fut mis en place le réseau « Echelon ». Dans le monde entier, « toutes les communications par courrier électronique, téléphone et fax sont régulièrement interceptées » par « Echelon », dont les ordinateurs extrayent de la masse d'informations les messages contenant les mots -clés sensibles (4). C'est à partir de ses communications téléphoniques que le dirigeant kurde Abdullah Öçalan aurait été « pisté » durant son errance par les services secrets américains, pour le compte de la Turquie.

FACE à un tel dispositif, les Européens sont tétanisés. En l'absence de « preuves » de l'utilisation d'« Echelon » pour l'espionnage économique, on hésite à compromettre les « bonnes relations économiques avec les Américains ». « D'autant, nous confie le député européen Glyn Ford, qu'au sujet des écoutes, les relations entre les Etats-Unis, l'Union européenne et les gouvernements nationaux sont assez complexes, alternant partenariat et compétition. »

(1) « About NSA », http://www.nsa.gov:8080/

(2) Le Monde, 14 janvier 1999.

(3)Il fut rendu public, le 18 décembre 1998, en vertu du Freedom of Information Act. Cet organigramme, probablement incomplet, ne se trouve pas sur le site de la NSA, mais à l'adresse http://jya.com/nsa-chart.htm.

(4) Lire Steve Wright, An Appraisal of Technologies of Political Control, Interim Study, STOA, Parlement européen, 19 janvier 1998 et Le Nouvel Observateur, 10-16 décembre 1998. Lire également Nicky Hager, Secret Power. New Zealand's Role in the International Spy Network, Craig Potton Publishing, Nelson, Nouvelle- Zélande, 1996.